La vulgarisation vidéo sur YouTube en classe: un support, de multiples sens
Résumé
Depuis les années 2010, les formats de vidéo de vulgarisation se sont multipliés sur Internet. De la vidéo d’expériences scientifiques à celle tentant d’introduire à la physique quantique effectuée par des semi-professionnels de la vulgarisation; des réuploads des émissions télévisées d’Henri Guillemin au « Vortex » d’Arte sans oublier les indémodables « C’est pas Sorcier », la médiation de connaissances via l’éducation non formelle (Roqueplo, 1974 ; Jacobi et al., 1990 ; Jacobi, 2018) est facilitée par la démocratisation de l’accès au Web et aux outils numériques du début du siècle. Cette nouvelle technologie de communication audiovisuelle, comme d’autres avant elle, a imprégné le monde éducatif formel jusqu’à faire irruption en classe.
Au-delà de poser la question d’une utilisation techniciste ou sociologiste (Coutant, 2012) de ces supports, et à l’heure de l’éducation critique aux médias, nous questionnons ici l’appréciation par les enseignant·e·s de la multiplicité de sens véhiculés par ces supports. En effet, le support médiatique qu’est la vidéo (ou « médium » dans le langage cinématographique, Aumont et al., 1983) est vecteur et facteur de diverses significations de l’objet à enseigner (Chevallard, 1985) formalisé par la didactique élargie de l’enseignant·e (Reuter et al., 2013). A l’image fixe, déjà porteuse de sens, se rajoute le discours du mouvement, filmé ou monté, porteur, comme tout discours, de sens plus ou moins évidents. La vidéo de vulgarisation, qu’elle possède ou non l’intentionnalité d’une utilisation formelle par le milieu scolaire, n’échappe pas à cette sémiotique (Jacquinot, 1977 ; Jaillet, 2006), structurelle de l’image animée. Celle-ci porte les normes et les valeurs (Coutant, 2012) de l’industrie qui l’a produit et/ou de la plateforme qui la diffuse (Carton & Tréhondard, 2020), sous peine de ne pas être réalisée ou d’être invisibilisée.
Cette invisibilisation est une pratique connue de la plateforme d’hébergement et de diffusion YouTube (Badouard, 2020), créée en 2005 et propriété de Google depuis 2006. Une vidéo ne correspondant pas aux standards de cette plateforme est algorithmiquement moins mise en avant que les autres, dans une logique de libéralisme informationnel (Loveluck, 2015) consistant en la captation et l’agrégation des flux d’annonceurs publicitaires. De fait, les vidéos les plus vues et les plus utilisées dans le monde éducatif sont celles qui n’ont pas été censurées par la plateforme et donc validées en amont par un géant du Web, Google. De plus, la position quasi-monopolistique de cette plateforme de vidéo empêche la visibilité d’autres supports édités, à moins qu’il s’agisse de recommandation étatique comme pour la plateforme Lumni par exemple en France. Cependant, là encore, l’enseignant·e se retrouve face à un catalogue de supports (Bruillard, 2019) par le biais de la plateforme et dont la validité a déjà été préétablie en amont, déresponsabilisant de fait l’exercice critique dans la sélection du support didactique.
Dès lors, nous nous demandons donc ici comment les enseignant·e·s prennent en compte la multitude de sens véhiculés par les supports vidéo qu’iels utilisent en cours ?
Cette question se rapproche de l’une de celles posées par l’Axe 1 de ce colloque, concernant l’appréciation par les enseignant·e·s du langage de l’image animée et de champs extérieurs à celui du savoir dans la sémantique créée par la situation didactique (notamment ici par la logique mercantile de la plateforme YouTube).
Pour y répondre, nous nous basons sur les travaux précédemment cités en sémiotique des images, en philosophie et sémiologie du cinéma (Metz, 1971 ; Aumont et al.,1983), en sciences politiques et économiques du numérique et de la gouvernance du web (Lessig, 2000 ; Schaffer, 2012 ; Loveluck, 2015 ; Badouard, 2020) et en didactique de l’Histoire (Lautier, 1994, 1997 ; Lucas, 2001 ; Héry, 2007 ; Tutiaux-Guillon, 2019) où la place du document est centrale avec celle du récit, et en didactique par les images (Tardy, 1966 ; Jacquinot, 1977 ; Jaillet, 2006). Nous nous basons également sur une enquête quantitative de 2021 effectuée auprès de 157 enseignant·e·s d’Histoire du primaire au supérieur. Cette enquête de 2021 questionnait particulièrement le rapport entre les enseignant·e·s d’Histoire à divers niveaux et l’objet-frontière (Falaize & Lantheaume, 2008) que constitue la vidéo de vulgarisation semi-professionnelle sur YouTube, avec pour objectif d’en dégager les axes d’une acception commune entre enseignant·e·s et vidéastes.
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