Identifier les conditions rendant possible l’acte d’apprendre sur Moodle pour mieux accompagner les étudiants
Résumé
« Accompagner les étudiants pour favoriser leur réussite, leur esprit critique et leur créativité » (Axe C), en particulier dans le cadre d’activités médiées et médiatisées par un objet technique tel que le numérique (Develotte et al., 2011), pose la question préalable de savoir comment ils apprennent. Cette question essentielle nécessite de documenter les aptitudes cognitives et physiques qu’ils mobilisent pour « naviguer » et travailler dans un milieu numérique tel que Moodle. En se focalisant sur leur relation perceptivo-motrice et cognitive à cet artefact, il devient alors possible de documenter leurs façons d’apprendre. C’est le défi qui est relevé par le projet interdisciplinaire PAN « Perception et Apprentissage avec le Numérique », projet porté par l’université Lyon 2 et qui regroupe des chercheurs en anthropologie, en sociologie et en sciences de l’éducation et de la formation.
Cette documentation passe par l’observation et l’identification de ce qu’il perçoit et de ce qu’il fait en condition réelle. Le rapport du sujet à l’environnement dépend des potentialités ou affordances (Gibson, 1979) qu’il perçoit et qu’il estime efficaces pour agir. C’est parce que l’individu et un artefact font partie d’une même niche écologique, que l’individu peut percevoir des affordances en situation réelle, notamment par la présence d’indices sémiotiques (Morgagni ; 2011) l’informant des réponses les plus envisageables à une action pragmatique et par sa connaissance socioculturelle sur l’environnement (Simonian, 2020). L’affordance est ici envisagée comme des perceptions distribuées (Hutchins, 1995) à la fois externes (organisationnelles et contextuelles) et internes (propres aux caractéristiques biologiques, perceptives et cognitives d’un sujet). Certains auteurs (Philipette, Fastrez, 2013 ; Reyssier, 2020) ont notamment montré que ces affordances pouvaient être à la fois épistémiques (liées aux concepts, savoirs) et pragmatiques (liées aux savoir-faire, procédures et outils mobilisables). Ce sont ces deux types d’affordance qui sont étudiées dans cette recherche.
Dans la lignée des travaux qui se revendiquent de la cognition située et de la cognition distribuée (Suchman, 1987 ; Cole, 1971 et Theureau, 1992), la cognition est liée à l’action des sujets dont les données ou flux d’action, sont ici saisies par un eye tracker. En captant l’activité oculométrique des étudiants en train de faire, la perception est ainsi réincarnée. Puis par l’explicitation (Vermersch, 1979) et l’autoconfrontation (Theureau, 1992) du sujet qui se voit en train de faire, il devient alors possible de saisir les possibles offerts par l’environnement et ceux réellement mobilisés pour l’action. Autrement dit, il devient alors possible d’identifier ce qui fait environnement pour lui et les conditions qui rendent possible l’action. Une telle orientation immersive appliquée à une activité d’apprentissage instrumentée permet d’interroger la manière dont l’étudiant agit dans son environnement physique et numérique pour apprendre : comprendre ce qu’il perçoit, ce qu’il mobilise et ce qui se produit au cours de la situation.
Les résultats obtenus montrent que l’acte d’apprendre ne peut se résumer à la façon dont les étudiants se saisissent des possibilités de répondre à la consigne selon le type de tâche prescrite. Si l’acte de « consulter des ressources » est jugé vide de sens en comparaison avec l’acte de « faire un plan », ils invitent tous deux à des stratégies de consultation des ressources différentes. Ces stratégies se fondent sur des méthodologies acquises lors d’expériences antérieures mais aussi sur l’interprétation que les étudiants font de la consigne, de la façon dont est organisé le contenu sur Moodle et de ce qu’ils présupposent que l’enseignant attend d’eux. Par ailleurs, cette activité ne se résume pas à la compréhension que peuvent avoir les étudiante.s de la tâche prescrite. D’autres conditions rendant possible l’activité d’apprentissage peuvent entrer en jeu : la qualité des ressources, le rapport de l’étudiant à chacune d’entre elles, la façon dont elles sont mobilisées ; la qualité de la consigne qui oriente l’action et favorise des stratégies de méthodologies mises en œuvre (stratégies de lecture, prise de notes) ; mais aussi des stratégies plus personnelles de l’étudiant liées à son rapport aux pairs (coopération, conflit sociocognitif), à l’enseignant (soutien perçu, rôle d’évaluateur), à l’environnement physique (informatique : ergonomie, accès au wifi ; matériel : un espace de travail calme) et au temps (gestion des ressources, recherche d’efficacité).
Il apparait ainsi que l’acte d’apprendre sur Moodle ne peut se limiter au seul rapport de l’étudiant avec les ressources proposées : ses expériences antérieures, les intentions pédagogiques qu’il perçoit, les conditions matérielles et temporelles dans lesquelles se déroulent l’apprentissage, sont autant de facteurs pouvant potentiellement influer sur ses capacités perceptivo sensorielles et motrices. Dès lors, des préconisations pédagogiques et institutionnelles peuvent être faites, sur la façon d’instancier des ressources ou de permettre un apprentissage plus effectif et de qualité.