Mémoire et cognition incarnée : comment le sens du monde se construit-il dans nos interactions avec l'environnement ?
Résumé
L’objectif de ce premier article est d’introduire l’approche de la cognition défendue dans ce numéro spécial, celle d’une cognition incarnée, enracinée dans les interactions qu’entretient le corps avec l’environnement, émergeant de ces mêmes interactions, et située car prenant naissance dans la situation présente, permettant ainsi un fonctionnement adapté « ici et maintenant ». Mais j’essaierai surtout de montrer que pour que cette incarnation soit possible et surtout adaptée, la cognition doit être avant tout mnésique, en ce sens qu’elle se sert des expériences passées de l’individu pour produire des comportements adaptés au présent et anticiper le futur. Cela suppose une mémoire capable de produire des états mentaux reflétant des expériences sensori-motrices passées spécifiques, et en même temps permettant l’émergence de connaissances générales sur le monde, mais néanmoins adaptées aux situations et buts spécifiques poursuivis. J’évoquerai pour cela l’idée d’une projection de la cognition dans notre espace-temps cognitif. Les états mentaux (perceptions, souvenirs, connaissances, ressentis, …), donnant du sens au monde, et plus largement la cognition, ne proviennent pas de l’activation de représentations préétablies, mais se construiraient dans l’instant présent via nos interactions corporelles avec l’environnement, à partir de la recréation ou simulation de nature sensori-motrice d’états antérieurs. Cet article se terminera par une évocation des mécanismes de régulation de la dynamique cognitive. Si la mémoire détermine les potentialités d’émergence du système cognitif, le caractère prédictif et incarné de la cognition permet d’envisager une autorégulation de cette dynamique en grande partie sous la dépendance de l’action et de l’émotion.