La technique joue un rôle non négligeable dans la bande dessinée. Rôle qui reste encore à fouiller, à catégoriser et à problématiser. Il s’agit ici moins de se pencher sur la technique en général que sur ce qu’on peut appeler l’objet (concrétisation singulière et discernable dans sa matérialité et sa fonctionnalité de la technique) et le rôle qu’il est parfois amené à jouer dans la bande dessinée franco-belge. En effet, que ce soit dans Gaston, Spirou, Tintin, chez Fred, Peeters, Schuiten ou Tronchet notamment, il est assez fréquent que l’objet se dérobe ou se retourne, à moins qu’il ne déborde ou joue quelques tours aux hommes. Loin de la sociologie de l’usage, la bande dessinée pointe alors cette « ironie de l’objet » que l’on ne se réapproprie plus, mais qui déstabilise, agresse, dépasse, interroge... Il est question ici de ce moment où la technique interpelle, en déclinant quelques figures, sans valeur d’exhaustivité, simplement pour découvrir cet étrange retour des choses, de la « logique des objets imaginaires » (Fred) à « l’objet taquin » (Hergé), en passant par « l’autonomie politique de l’objet » (Peeters et Schuiten) ou par « les trahisons de l’objet » (Franquin). Les bandes dessinées explorées proposent une socio-philosophie de l’objet et, plus globalement, de la technique, en pointillé. Une socio-philosophie qui, sans renier celle de l’usage, montre néanmoins que l’objet, grâce à ses propriétés singulières, possède ses logiques propres. Il peut nous résister, glisser entre nos mains, voire prendre le pouvoir ou permettre de s’en déprendre… La bande dessinée peut ainsi être vue comme le lieu d’une véritable réflexion critique sur la technique qui vaut proposition d’une sociologie de la technique, mais aussi à sa manière, singulièrement pertinente, comme une véritable ironie de l’objet.